La passion
Même si le monde est fondé sur le maître argent, je veux continuer de croire que ceux sont les sentiments qui l'animent. Il n'y a que l'amour et la haine que nous sachions encore ressentir instinctivement, le reste est bien moins sûr... Mais il est heureux qu'une myriade d'autres ne viennent pas s'y mêler : l'homme est suffisamment nigaud dans sa tentative désespérée d'écouter son cœur sans tenter en plus de cela d'identifier ce qu'il ressent ; quand il est là, on ne peut en douter et il n'y a que par là que peuvent naître les passions.
Mais cette force, cette candeur qui semble nous sortir tout droit du fond de l'âme est sauvage : c'est une grande harde de chevaux qui galopent sur la plaine de notre cœur en soulevant d'immenses nuages d'un poussière lourde qui pique les yeux, assèche la bouche et fait trembler tout nos membres. Mais ces animaux sont puissants et rapides : ils nous portent si vite que l'on en oublierais nos pauvres jambes tremblotantes et qu'on laisserait notre regard se perdre dans la brume du paysage mouvant.
Cette illusoire puissance est telle un grand brasier nourrit de toutes petites brindilles : un mot, un regard suffisent à faire des étincelles, à faire ronfler et enfler le feu. Il permet de nous réchauffer pendant les plus froids de nos hiver : il nous conforte dans nos mornes existences sans valeur, il semble lui donner un nouvel éclairage, une nouvelle interprétation. Et à l'observer danser, pendant un temps au moins, on n'a plus vraiment envie de partir.
On s'accroche à des bouts de ficelle que le feu grignote car une fois passionné, on se bande les yeux et se laisse trop facilement le loisir de scier la branche sur laquelle un pégase nous aura déposer.
La chute, quand à elle, est abyssale. Elle nous cogne la tête et on en réchappe pas toujours . Parfois, on change de route et on se traîne quelques temps, les membres brisés, on gémit le long du chemin, attendant une âme charitable qui ne vient finalement pas... Mais jamais on ne décide vraiment de l'abandonner, c'est elle qui nous griffe, nous brûle, nous dévore.